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Hors série Terra Corsa
 printemps-été 2009




Version Fémina
4 juillet 2009








Les Chroniques de Jean-Paul Gavard-Perret sur arts-up



FRAGMENTS PAR ET POUR FLORENCE ARRIGHI
de
JEAN-PAUL GAVARD PERRET
ENTRE CIEL ET TERRE
Ou
LES CORPS DE PIERRE
A celle qui finalement devient poème & silence, cri & murmure. A l’Éloignée qui
crée le souffle, le lieu, le lien de l’image qui tient. A celle en qui réside un savoir
secret.
Formes soufflées paradoxalement humaines. Sur-vivance. Ne commettons pas
l’erreur d’y chercher de fantômes. Puisque Florence Arrighi déplace les formes
spectrales. Elle donne à l’espace son sens mystique, offre à l’Amour une
présence particulière, une hantise. Un rêve. Matérialité et immatérialité. Flux,
courants, organisations.
Nous cheminons. Ce qui n’est plus la nature morte nous interroge. Pouvoir de la
hantise, de la métamorphose. Sentir. Ressentir. Laisser à l’oeuvre son pouvoir, sa
puissance, son mystère. Elle devient la forme intérieure de la connaissance. C’est
éprouver un contact. Nous l’incandescence blanche.
Mais sentir c’est aussi éprouver la distance. L’approche commence dans le vide et
se termine lorsqu’elle l’atteint à nouveau. Sentir est un mouvement qui porte
entre contact et distance.
On ignore les distinctions usuelles de dehors et de dedans. Ce n’est pas affaire
d’espace mais de lieu. L’être prend corps par le minéral. Dans chaque galet
recueilli : un écrin à hantise, à surprise. Florence Arrighi leur octroie une
propriété troublante. Pouvoir de ses lieux. De ses hantises.
De ses espérances.
pour vaincre l’infranchissable obscurité. Un éclat soudain. Il y faut le
galet pour retrouver la fraîcheur et gagner l’ouvert
Le corps et les indices de matérialité de ces 23 grammes d’âme : épaisseur
concentrée. Chaque sculpture est une oeuvre natale. C’est le pouvoir de l’artiste :
il lui revient toujours de recommencer en sautant les obstacles. Tout est intime.
Cela sépare. Que tout déchirement fasse éclat. En avant de Florence Arrighi. Au
plus près.
Deux corps au milieu du monde. Que ceux qui le peuvent regardent le silence
sous l’ombre peinte de la lune. Les songes sont dévorants. La fusion préside à
leurs charmes somnambuliques. Sur l’île le vent se répète sans borne ni meure. Il
est cela sans être. Il est sans être là. Gueule ouverte. Les sculptures de l’artiste
sont des heures. Elles laissent mourir la rancune. L’homme tremble à la clarté de
leur empreinte. Chaque galet de vient la goutte du destin. L’étrange met son
dévolu sur l’être. Toute la métaphysique est instruite par l’image. Autour parfois
brille et luit.
Les oeuvres de Florence Arrighi servent à penser la clôture, la fusion, l’ouverture.
On couche dans le silence, on dort d’un autre jour. Ici est la séparation des êtres
mais aussi leur union. La sculpture reste la retrouvaille des nuits ouvertes face à
la nappe cendrée des choses. Nous sommes ses survivants. Elle souffle sur les
errants que nous demeurons. Quelques éléments abstraits ou concrets sont
isolés. Pouvoir de l'air. Hantise de l'air - ses coloris, sa poussière, sa diaphanéité.
La mémoire ou l'oubli - comme on voudra.
Florence Arrighi crée pour s'éloigner des mots. Les mots mentent mais les images
pas. A travers son travail nous allons à la limite où l'écriture n'existe pas. Qui
sont dans les sculptures ? Qui sont ces sculptures ? Le silence y bascule. Mais il
faut à un certain moment afin que les mots perdent leur adresse. La fusion ne
s’écrit pas, elle se fait. C'est cela sculpter. L’artiste n’a pas besoin de mots. Car
ils nous mettent toujours en position de faiblesse, de défaillance probable.
Comment expliquer autrement pourquoi les mots sont noirs ?
Epreuve de la brûlure, fascination de la fusion. Florence Arrighi soulève le temps,
réclame à l’énigme son dû. Elle fait de ses silences un opéra. Distribution
polymorphe. Unité.
La destruction est reportée. L’artiste fait résistance. Elle refuse de marcher vers
sa fin. De l’extrême précarité surgissent de nouvelles formes. Tout un monde
renaît. Empreinte indestructible par quoi s’imprime la présence.
Rédemption pure. Douleur des résurrections. Il faut passer par la mort pour
retrouver la joie. Le monde est investit, l’amour devient enfin sa Loi. C’est
pourquoi il faut crier à l’artiste : « Accepte qui tu es, nourris-toi de ton atelier.
Tu vas toujours trouver la voie. Nous sommes tes galets de mer et de rivières.
Tes souvenirs nous roulent et nous patinent. Tu es la pierre miraculeuse. L’enfant
en nous et par toi dort assis »
Des formes nouvelles s’ajoutent aux anciennes. La carte de notre pays intérieur
change du tac au tac Du tonneau percé de la Danaïde il tombe dru. Où se sont
cachées les autres couleurs de notre spectre ? Qu’est-ce que le Soleil peut
devenir ? Les nues jonchent le ciel, nous hantent… Monts, collines, vaux,
précipices fusionnent. La fleur de galets règne sur terre et nous faisons peau
neuve.
Tout est là. Florence Arrighi engage une critique en acte de la sculpture. Son
oeuvre devient pour un lieu de dépôt et de déplacement Des galets surgissent de
corps C'est la vie de l'artiste. C’est sa vie qui nourrit ses oeuvres, En restant
mystérieuse, elles permettent à tout spectateur de se les approprier. Il peut
projeter ses propres questions, souffrances, joies, errances.
La pierre devient atmosphérique. Elle est soufflée dans la fable du lieu et du
temps. En ce sens Florence Arrighi travaille dans l’urgence de la mémoire. Elle
en chasse les démons. Il y va donc bien de la « sur-vivance » Chez la créatrice
l’art commence au rebours mais aussi par les choses de la vie. Cette dernière
commence par une naissance, L’art peut débuter sous l’empire de la destruction.
Le recours aux deuils, aux fantômes, à l’absence permet que s’élèvent des
couples sublimés dans une union sensuelle et mystique. L’artiste en fait le don.
Etrangeté fascinante de l’oeuvre. Le réel devient le négatif de la disparition. Par
son enrobage l’artiste lui donne un ordre -sculptural. L’objet en émerge à peine.
Mais s’en perçoit la profondeur. Non seulement son simple contour mais sa
qualité physique, une tridimensionnalité de l’à-peine. Le galet donne un aspect
doux et dur d’éternité qui passe. Tout se dissout pour que ne demeure qu’un
souffle.
L’oeuvre est tout en humilité par sa substance. Tout en puissance par ses
métamorphoses. A la solitude des objets l’artiste donne sa propre profondeur, son
propre silence. Citons un autre artiste – Parmiggiani - pour pénétrer son oeuvre :
« il y a plus de vie, de vérité, de sens du tragique dans un galet que dans toute la
tragédie grecque ».
Passe le temps. Florence Arrighi ne marche plus dans les églises mais dans ses
ateliers. Elle s'éloigne des rigueurs mystiques du Décalogue pour un autre
aperçu. Dans sa sculpture elle retrouve l’expérience même des lieux désertés.
L'artiste s’immobilise un instant : est-ce la matière qui donne cette couleur là ?
Elle reste incapable de comprendre pourquoi ce galet noir se donne à elle comme
un obstacle. Il fait passer la lumière. L’oeil s’y perd. Le mystère se transforme
mais demeure. Mieux : il s’approfondit. La femme qui marche dans sa tête et son
ventre doit se reconstruire et construire afin de ressaisir quelque chose dont
autrefois le rêve lui fit don. Cet avant lui dévoile l’évidence bouleversante de ce
qu’elle invente. Tout ce qui fut donné ou bloqué est repris.
Florence Arrighi investit des lieux Elle crée ses propres conditions de spatialité
et de luminosité. Cela existe-t-il vraiment ? Comment avec nos yeux ouverts
expérimenter cette puissance de la sculpture ? Comment en recueillir dans la
présence effective l’absence ? Déjà Léonard de Vinci aimait s’interroger sur les
corps vus dans le brouillard et le brouillard en tant que portant des corps.
Comme lui la jeune artiste voit des infinis s’éloignant en chaque parcelle du
monde visible.
Elle demande au ciel de lui dire sa couleur. Elle en vient à soumettre la
perspective à une loi de l ‘effacement. Son oeuvre est faite de risques violents et
d’équilibres subtils. Elle ne se laisse pas envisager immédiatement. Elle prend du
temps. Il faut que s’évaporent les restes de notre espace visible familier et que se
déposent la compacité silencieuse et la puissance du lieu crée. Il se place au bord
d’une ombre et d’une lumière. Par la matière elle prend une qualité tactile entre
un pan minéral et une tache de lumière. C’est là que se tient en un sentier étroit la
femme qui marche dans sa sculpture. Il nous reste à tomber dans la fable de ses
lieux.








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